La transtopie renvoie à un phénomène sociétal majeur. Il correspond au fait que nous sommes passés d’une structure relativement statique, déterminée et fixe, à une société dans la mouvance permanente.
Le lieu référentiel traditionnel, être à une place (topos), est constamment en déplacement, en mouvement perpétuel. C’est un topos qui auto-voyage d’où le préfixe de trans (à travers, au-delà).
Donc une société qui est passée d’une certaine fixité à une volubilité certaine. Ce phénomène s’observe à la fois dans les medias, les outils de communication et les comportements des individus.
Ce néologisme de transtopie est au cœur des phénomènes observables actuels. Il est une unité et un nouveau standard.
Ces 2 niveaux s’interpénètrent, bien que l’on puisse les distinguer/isoler. Ils se correspondent, se renvoient en une totalité, en une masse homogène.
• Les medias (tous supports confondus) s’auto-zappent, ils passent constamment d’un contenu et d’une forme à une autre. La vitesse est l’indice de ce phénomène : la temporalité est en constante accélération. Il s’agit dynamiquement de glisser en permanence d’un état/contenu à un autre. Sorte d’euphorie du passage et de la volubilité pour elle même, l’accélération étant un indice stable. Sorte d’hyperactivité médiatique qui ne saurait se statufier, faire un arrêt. Désir d’ailleurs en permanence, de n’être-pas-là, mais transporté dans un Ailleurs indéterminé, bigarré et énergétique.
Symptômes : vitesse des énoncés, des images, des thèmes, des registres…
• Les individus sont eux mêmes en auto effervescence. Ils sont pluriels comme branchés sur des supports différents simultanément. Voir, entendre, parler et écrire en même temps. Ils sont ici et là, dans une sorte d’abstraction unitaire faite de multiplicités de stimulus et d’actions synchroniques. Point de pause mais un continuum plurivoque comme être-au-monde. Multiplication ad libitum des « éprouvances » simultanées et denses.
Symptômes : tchater, SMSiser, téléphoner, visionner, parler, marcher, se transporter… synchroniquement.
Les traits majeurs de ce phénomène en deux niveaux sont l’accélération de la densité/multiplicité dans un sur-temps au sein d’une abstraction du lieu.
Comme de saisir la diversité de manière frénétique et compulsive. Ardeur et étourdissement « jouissif ». Désir d’étreindre une totalité de signes (boulimie) vers un vertige intérieur. Un embrassement et un embrasement continuel.
A la densité verticale, pointée, identifiée, déterminée en un temps étiré s’est substituée une densité horizontale polydirectionnelle et perpétuelle.
Sorte de non-lieu et d’accélération atomique.
Une transe par le trans- en somme. Une excitation princeps, turgescente et irréfragable, sans point mort et sans identité. Une trajectoire comme pour elle même, auto-amoureuse. Une conscience précipitée vers toujours plus de contenus de tous types (olfactifs, phatiques, narratifs, scopiques, verbaux…) en une course sans fin.
L’infini « stimul-air » au sein d’une matrice-individu vorace et absorbante. Du pluriel multiforme qui traverse l’individu et le perfusionne en permanence.
Exaltation du trans comme définition d’un (néo) moi qui s‘articule de ces signaux. Ce sont eux l’ossature d’un moi précipité et éternellement ouvert au divers.
Ils constituent des trames autoportées et circonvolutionnelles, stables dans leur existence, dans lesquelles le destinataire est une sorte de réceptacle transparent -en transit permanent-.
Culture transtopique « intériorisée » de l’individu qui est animé de l’extérieur par ces feux hétéroclites et sans fin.
Conscience extériorisée vers un devenir inachevable ?
Le sujet est comme identifié aux objets multivectoriels et animés par eux. Point d’illusion d’intériorité, siège d’une construction volontaire de soi, mais la prégnance d’une volatilité consistante.
Revanche de l’objet (ici manufacturé et construit) sur l’hypothétique sujet depuis toujours ?
L’individu devient le corps transparent de flux et son miroitement tient en une résultante passagère de ceux ci.
Les discours de tous ordres articulent l’individu qui devient leur objet construit, lui même manufacturé.
Bénéfices de l’individu pris dans les flux.
Etre animé/rempli de l’extérieur, diversité des registres, sentiment océanique, puissance dévoratrice et transtopique… Caresse de sens et de cognitions en ébullition constante en un massage perpétuel.
Passage de l’in-dividu au trans-dividu, en un placenta restitué et sublimé.
Ingérer sans digérer, en une course excitatrice disparate, vers un sentiment/comportement cannibalique global.
Voilà : dévorateur.
Le transtopien surfe, et, en convoquant Baudelaire, « comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde, il sillonne gaiement les allées profondes avec une indicible et mâle volupté ».
Butinage sans conséquences et immédiatisme projectif.
Effets sur la consommation.
La féerie des « objets » de tous ordres (communicationnels, informatifs, culturels, touristiques…) sont comme l’ADN de la conscience, ils lui donnent des contenus permanents et changeants. Ils sont l’énergie et les aires cognitives des destinataires construits. Ce sont presque des neurones, dans cette externalisation de la conscience. Ils sont constituants de l’individu et non constitutifs. Partie plus que prenante et centrale, ils m’animent, me pensent, me sentent…
Les objets deviennent les composantes, les dispositifs des individus : ils sont précellents. C’est à dire qu’ils sont presque les organes « vivants » de la singularité construite et toujours à remodeler. Ils sont les déterminants de ce que l’on pourrait appeler le moi-mosaïque de l’individu.
Toute l’Extériorité se masse autour de l’individu et le constitue en permanence.
Le statut des Objets de consommation est qu’ils sont les nourritures substantielles d’un moi-mosaïque en construction constante (comme accidentel et contingent).
La substance est du côté de l’objet et la contingence du côté du sujet dont le fonctionnement essentiel est d’ingérer de manière gloutonne/spongieuse ces objets substantiels afin de se doter d’une surface.
Les objets – au sens très large de ce qui est du domaine de l’extériorité tant des produits que des manipulations qu’ils nécessitent chez les consommateurs – sont finalement Le corps, constitué de vecteurs dynamiques multiformes, polydirectionnels qui traversent les individus et les objectivent.
Effets de la transtopie sur la consommation : accessibilité, nomadisme, personnalisation, permutation/rotation… Etre dans une logique participative et immédiate plutôt que dans la pérennité/stabilité.
La notion de trajectivité peut être considérée comme la résultante existentielle de l’individu contemporain. De fait, elle comprend cette idée d’être jeté au travers et celle de traversée, d’où elle exprime bien le comportement de l’individu actuel interstitiel entre d’un côté l’objectivité des objets extérieurs hyper-présents et la subjectivité latente du transtopien.